Chap 2 :
Ferdinand chez LOHNER
Nous avons laissé Ferdinand Porsche en 1899 lors
de son arrivée chez le carrossier (fabriquant de carrosses) viennois Lohner.
Dès 1887, ce dernier avait décidé de passer de la traction chevaline à l'automobile.
Il comprit d'emblée que la vapeur n'était pas la solution idéale pour motoriser
de petits véhicules de luxe. Bien sûr, déjà en 1875, la grosse
"Obéissante" d'Amédée Bollée fonctionnait bien, mais c'était une
sorte d'autobus rural. Le moteur à vapeur ne trouvera d'ailleurs son
épanouissement que dans le transport en commun, sous forme de locomotives. La
traction électrique était tentante, mais aucune auto électrique vraiment
pratique n'avait encore été réalisée (c'est encore vrai cent ans plus tard). La
solution du moteur quatre temps (brevet Otto) s'imposait déjà d'elle-même. La
première vraie automobile (1886), celle de Carl Benz, roulait très bien, mais
son moteur (0.7cv à 300 trs/mn), était moins intéressant que celui dessiné un
an plus tôt par Gottlieb Daimler et Wilhelm Maybach. Ceux-ci étaient installés,
comme plus tard l'usine Porsche, près de Stuttgart, plus précisément à Bad
Constatt, berceau historique de l'automobile. Ayant commandé le meilleur moteur
de l'époque, un "Phœnix", à Gottlieb Daimler, Lohner avait essuyé un
refus. De même les négociations avec Rudolf Diesel avaient échoué, le moteur
diesel pour automobile étant encore bien loin d'être ou point. Lohner est alors
contraint de s'adresser en France. En effet à cette époque (entre 1890 et
1900), le développement de l'automobile, création allemande, était curieusement
passé en France où les brevets de Daimler étaient exploités par Panhard &
Levassor ainsi que par Peugeot. En Allemagne, Daimler ne parvenait pas à
produire son moteur et Benz piétinera jusque 1893 dans la commercialisation de
ses automobiles. En 1890, l'automobile était inventée mais on n'avait encore
construit que huit autos à essence "modernes", cinq Benz et trois
Daimler. Ce sera assez curieusement le succès de l'automobile en France qui
relancera l'enthousiasme des constructeurs Allemands. Bref, Lohner s'adresse à
la firme Française Lefèbre-Fessard qui se fait un plaisir de lui livrer des
moteurs à essence "Pygmée", bicylindres, d'une puissance motrice (pas
fiscale) de 4 ou 6cv. Ces moteurs ne résultaient pas de l'exploitation des
brevets des inventeurs allemands mais en étaient nettement inspirés, on dirait
aujourd'hui qu'il s'agit de clones.
Ces "Pygmée" portaient bien leur nom, ils étaient à peine suffisant
pour propulser ou pas de l'homme de très légers phaétons manifestement conçus
pour la traction chevaline. Ce fut un échec, seulement quatre Lohner à moteur à
pétrole seront construites (vendues?) avant 1900. De plus, comme chez Lohner,
on était très snob et patriotique, le carrossier ayant le statut de fournisseur
de la cour, on voyait mal l'Empereur transporté dans ces petits carrosses
sous-motorisés par des moteurs non autrichiens.
Le voisinage du constructeur de moteurs
électriques Béla Egger & Co et l'emballement du public autrichien pour tout
ce qui était électrique (comme les nouveaux tramways viennois) poussèrent
Lohner à essayer la propulsion électrique.
A première vue, ce choix technique n'était pas évident. Le premier moteur
électrique ne développait que 3cv et il fallait transporter plus de 400 kg de
batteries. Ce poids nécessitait un châssis très costaud et générait de nombreux
problèmes au niveau train roulant.
La première Egger-Lohn Elektromobil date de 1897 et était antérieure à la
collaboration avec Porsche. C'était une véritable aberration mécanique qui ne
trouva pas acquéreur. Le moteur électrique était fixé sur l'axe avant rigide
qu'il actionnait, peut-être sans différentiel. C'était donc une traction dont
les roues arrière folles étaient directrices. Ceci permettait de tourner très
court, d'éviter l'usage de cardans, mais rendait la conduite bizarre,
comparable à celle d'un élévateur à fourches.
|
Le Fardier de Cugnot, premier véhicule
terrestre et première traction. |
C'est en réfléchissant aux causes de l'échec de
ce véhicule que Porsche, dès son arrivée chez Lohner conçut une voiture
électrique fonctionnelle.
Ce devait absolument être une traction avant comparable aux voitures à chevaux
qui avaient fait la renommée de la firme. Comment rendre les roues avant
motrices était un problème qui perturbait tous les constructeurs de l’époque ?
Ils suivaient en cela la tradition de Cugnot, dont le Fardier avait été le
premier véhicule auto moteur (1769). Nous verrons plus tard comment Ferdinand
Porsche, inventeur de la première traction réussie, allait ensuite devenir un
passionné du tout à l'arrière. La 911, nettement issue de ses réflexions, est
la dernière voiture de ce type... avec La Smart.
Dès 1890, on disposait de toutes les connaissances théoriques permettant de
construire une traction avant. Par contre les réalisations pratiques posaient
encore de nombreux problèmes.
Ainsi, Il était bien connu que les roues tournent à des vitesses différentes
lors d'un virage. Il y a donc lieu de répartir inégalement la puissance du
moteur à chacune des roues motrices. Ceci est obtenu grâce au différentiel,
dispositif d'horlogerie adopté aux véhicules par Onésiphore Pecqueur en 1828.
Néanmoins pour une traction, Il est très difficile de loger un lourd
différentiel sur l'essieu avant, déjà surcharge par le moteur (on n'imagine pas
une traction avant à moteur arrière). De plus, cet axe avant doit être relié
aux roues directrices par l'intermédiaire de cardans. Leur utilisation sur des
roues directrices posait de gros problèmes de fiabilité.
La réalisation de tractions avant conventionnelles n'allait devenir pratique
qu'en 1927 avec l'invention des joints homocinétiques par le Français Grégoire.
|
Différentiel |
A cela il fallait ajouter le problème d'orientation différentielle des roues directrices
dans un virage. Ainsi, dans un virage, les roues ne sont parallèles mais sont
tangentes ou centre de rotation du véhicule selon un système inventé par
Ackermann et Lankensperger (breveté en 1818). En France, cette géométrie
d'Ackermann est appelée épure de Jeantaud. Notons que si la première vraie auto
à moteur à combustion interne (Karl Benz) était un tricycle, c'était pour
éviter les problèmes de géométrie posés par la direction.
Comme Lohner voulait que sa voiture soit une
traction, Porsche était d'emblée confronté à l'ensemble de ces difficultés
techniques. Les plus complexes étaient ceux du différentiel et des cardans.
Tous ces problèmes seront habilement résolus sur son Elektromobil: chaque roue
avant directrice étant actionnée par un moteur électrique de 2.5cv à 120 trs/mn
situé au centre de la jante.
|
Epure de Jeantaud ou d'Ackermann utilisée
pour le dessin de la géométrie d'un essieu avant |
C'était une solution élégante pour supprimer les
cardans et le différentiel. L'absence de différentiel ne posait pas problème
car chaque moteur électrique adaptait son régime en fonction de la résistance
opposée au roulement de sa roue. Cette Electromobil fut baptisée
Lohner-Porsche.
Pendant la préhistoire de l'automobile (de1887 à 1900), l'autonomie réduite des
véhicules électriques passait inaperçue du fait de la fragilité des autres
voitures dont le rayon d'action était limité par la fréquence des pannes. En
fait, les voitures électriques Lohner-Porsche étaient peut-être un peu plus à
l'abri des pannes que les autres voitures. Leurs performances n'étaient pas
mauvaises: si on était optimiste, on pouvait espérer une autonomie de 65
kilomètres avec une vitesse moyenne de 25 km/h et des pointes à 45 km/ h. Dans
ce domaine, les voitures électriques actuelles n'ont que peu progressé, restant
à la merci de la technologie des accus.
La Lohner-Porsche était remarquable dans tous les domaines. Si ses freins
arrière à rubans étaient le reflet de la technologie de l'époque, les roues
avant étaient freinées par la mise en court-circuit du moteur. Il n'y avait pas
de boîte de vitesses (ni d'embrayage), mais un rhéostat à 6 crans faisait
office de boîte séquentielle. Les changements de vitesse s'accompagnaient d'une
coupure de l'alimentation électrique pour éviter les étincelles. Ces voitures
étaient décrites comme faciles à conduire, mais la recharge des accus et leurs
branchements semblent avoir été longs et laborieux.
Les moteurs électriques étant petits, Porsche eut l'idée d'en installer un dans
chaque roue et créa ainsi une des premières automobiles à traction intégrale.
Cette 4x4 "Lohner-Porsche Elektro-Rennwagen" (destinée à la course)
fut fabriquée en 1900 et vendue à un riche anglais. Chaque moteur développait
2.5cv et le poids des batteries atteignait 1800 kg. Bien que présentée comme
une "Rekordauto", ses performances étaient insuffisantes et le modèle
ne fut construit qu'à un seul exemplaire. Toujours en 1900, Ferdinand Porsche
fut tenté par l'idée de créer une voiture à propulsion mixte. Pour éviter la
nécessité d'emporter de lourdes batteries, il se dit que cette électricité
pouvait être créée sur place au moyen d'une génératrice actionnée par un petit
moteur. Bien sûr, le rendement n'était pas très bon puisque chaque changement
de forme d'énergie entraîne des pertes. Par contre, on pouvait bénéficier de la
fiabilité d'un moteur stationnaire à régime lent associé à la simplicité du
système Lohner-Porsche. Une idée intéressante était l'utilisation des batteries
pour démarrer le moteur à essence, Porsche inventa ainsi le premier démarreur
électrique.
La propulsion mixte allait connaître un certain succès en Allemagne, non pas
dans l'automobile individuelle, mais dans les poids lourds (véhicules
d'incendie, camions et autobus) et surtout dans le domaine ferroviaire. Les
locomotives diesels-électriques (Michelines) fonctionnent encore aujourd'hui
suivant ce principe. Un moteur diesel actionne une génératrice qui produit du
courant pour actionner de petits moteurs électriques situés dans les boggies.
Ce principe sera utilisé sur de gigantesques trains routiers que Porsche
développera ultérieurement. Les énormes tanks tels le Maus de 180 tonnes que
Porsche construira pendant la deuxième guerre mondiale seront aussi munis de
systèmes mixtes.
|
Lohner-Porsche,
4x4 de 1900. Les
moteurs électriques occupent le centre des roues. La voiture est chargée de
1800kg de batteries. il y a un effort d’aérodynamisme avec l'avant profilé,
mais la carrosserie est encore d’inspiration hippomobile |
La Lohner-Porsche Elektromobil fut présentée à
Paris lors de l'Exposition Universelle de 1900 où elle reçut un prix et fit
l'objet de quelques commandes. Le public était émerveillé par cette auto qui
démarrait toute seule, sans manivelle.
Malheureusement pour la Lohner-Porsche, nous étions en 1900. Cette année
(parfois appelée l'an Un de Automobile) vit naître une foule de nouvelles
voitures à essence. La Lohner eut seulement un succès de curiosité, car elle
apparut d'emblée comme trop lente du fait de son poids et de sa complexité. Ce
fut le déclin de presque toutes les voitures particulières électriques ou à
propulsion mixte qui étaient trop lourdes pour concurrencer les légères
voiturettes Benz, De Dion-Bouton ou Léon Bollée. Seule, la firme Mercedes
continua pendant quelques années à utiliser les brevets Porsche pour des
voitures particulières à propulsion mixte. De nombreux poids lourds seront
aussi munis de moteurs électriques dans les axes des roues, soit en traction
avant, soit en propulsion. Ferry Porsche a souvent rappelé que le Lunar Rover
qui équipait les astronautes américains en 1971 était comparable aux créations
de son père.
Avec les problèmes nés de la pollution urbaine, la propulsion mixte redevient à
la mode avec certaines nouvelles voitures japonaises (Honda et Toyota) et la
Swatch, future version élaborée de la Smart. Dans ces voitures, un petit moteur
4 temps est utilisé sur route et pour produire de l'électricité, celle-ci
n'étant utilisée que lors des trajets urbains. L'avantage de ce type de propulsion
est de pouvoir récupérer le courant lors des freinages, le défaut principal
reste le poids des accus.
|
|
Lohner-Porsche
à propulsion mixte photographiée en 1902. la carrosserie, dite tonneau, n'est
plus dérivée d'une voiture hippomobile, c'est maintenant une automobile
moderne. Le moteur à essence est installé sous le capot. Les moteurs
électriques sont situés dans les roues avant. La photo est intéressante parce
qu'elle a été prise à Maffersdorf devant la maison de la Famille Porsche.
Ferdinand est bien sûr au volant, son frère Oskar est assis derrière lui, A
côté de son père Anton. Madame Ferdinand Porsche (Eloïse, ou Aloisia, souvent
appelée Louise) se tient debout devant l'entrée de la maison |
||
|
|
|
||
|
||||